I. Bourgeoisie anodine.

Nous sommes dans une salle d'attente, chez un médecin. La salle est grande, blanche, moderne. 6 ou 7 chaises traînent un peu en vrac dans la salle, une table un peu défraichie offre aux patients quelques magazines datant d'un ou deux ans. La seule et unique grande fenêtre qui amène un peu de lumière est fermée. Nous sommes en hiver, il fait froid, et le chauffage est allumé. Pourtant, la pièce est froide, presque glaciale, et on aurait tout de suite envie d'y ajouter quelque chose de gai. Pour l'instant, il n'y a personne. Un silence de mort règne ici. Le docteur est probablement dans son cabinet, mais en tout cas, on ne l'entend pas.

D'un coup, la sonnette retentit. On entend deux gloussements de femmes et des faibles éclats de voix. La porte s'ouvre tout doucement, et une tête apparaît derrière. Il s'agit d'une femme, plutôt grande. Elle a de longs cheveux bruns, mais qui ne paraissent pas naturels. Une pointe de malice pétille dans son regard. Elle a de jolis traits, un peu tirés par l'âge. Elle doit s'approcher de la quarantaine. Elle jette un rapide coup d'oeil à la salle et entre totalement. Son long manteau en fourrure doit lui tenir très chaud malgré le froid de la saison, car elle l'enlève tout de suite et l'accroche au dossier de la chaise. Elle porte de grandes cuissardes noires à petits talons. Elle s'assoit, pose son sac en cuir sur la chaise d'à côté et pousse un soupir de soulagement en regardant sa compagne. Celle-ci, une fausse blonde, aux ongles manucurés à l'extrême, c'est un autre style. Des bottes plates, pointues, un haut trop petit et donc trop serré qui la boudine légèrement, un sac en croco et un manteau en peau de panthère. C'est autre chose, effectivement. Elle s'assoit à côté de son amie et pose son sac à ses pieds. Durant quelques secondes, les deux se taisent, une fois n'est pas coutume, et regardent en profondeur la salle. A leur façon de faire, on comprend que ce ne sont pas des patientes. Aucune des deux n'a l'air malade. Finalement la brune ouvre la bouche. Elles commencent à parler de la décoration. Cette discussion a l'air d'ennuyer profondément la blonde, qui dévie la conversation sur un film qu'elle est allée voir au cinéma. Puis l'on s'oriente vers d'autres sujets, plus habituels, les enfants, les maris. Les choses intimes qu'elles balancent de l'une à l'autre sur leur mari respectif en rigolant à s'en décrocher la mâchoire. Elles rigolent de bon coeur, la brune avec cependant plus de réserve que la blonde. Elle a l'air fatiguée, ses paupières se ferment doucement lorsqu'elles battent. Des rides apparaissent progressivement sur son visage, pourtant jolie, mais maquillé à l'extrême. On ne voit plus le véritable teint de sa peau tant elle a de fond de teint. Sa coloration laisse apparaître des mèches noires et peut-être un ou deux cheveux blancs. Celle-ci n'est pas très heureuse. Elle a sûrement des problèmes chez elle. Un divorce, une séparation, ou un problème de couple ; elle a des enfants, mais elle n'en voulait pas. Elle n'est pas bien dans sa peau. Elle se fait les ongles parce que c'est la mode. Elle se teint parce que ça plaît à son mari. Mais elle n'aime pas son boulot, elle n'aime pas sa vie, et son "amie" l'énerve au plus haut point avec sa vie parfaite. Vie parfaite qui d'ailleurs ne l'est pas du tout .. Son mari est en crise, il va peut-être se faire virer. Ils se sont encore disputés la veille, mais elle n'en a rien dit et a inventé un restaurant en amoureux. Ses enfants font leurs crises d'adolescence et restent enfermés dans leurs chambres sauf aux heures de repas. Sa maison est censée être moderne, bien décorée, classe et "stylée" comme leur avait promis le vendeur, mais elle tombe en ruine et elle doit sans cesse faire des réparations, appeler le plombier, l'électricien ... Et avec le manque d'argent et son mari qui ne travaillera peut-être plus, elle ne peut se permettre aucun excès. Mais elle n'ose pas se l'avouer, et elle fait tout pour ne pas paraître risible aux yeux de l'autre.

Finalement, le docteur ouvre la porte, et les fait entrer dans son cabinet. Elles récupèrent sac et manteaux et la suivent.